[quête] Souvenirs précieux

« Trinquons nos verres et vidons la bouteille,
Et laissons là les plaisirs de l'amour,
Et laissons là tous ces cœurs infidèles
Qui ne veulent pas nous donner leur secours. »

Un cavalier s'en venait arpenter les routes à travers la forêt, chantant en joie pour oublier le doute. La nuit lui avait été des plus douces alors que veille encore il traquait le manant pour les bonnes pièces d'un riche seigneur. Point de mort mais une méchante envie de dormir une fois l'astre solaire venu à terre. Geoffroy n'avait quitté ces contrées de l'Ouest que pour mener seconde quête sans exaltation. Par la vérité, il cherchait surtout nouvelle aventure pour remplir toujours un peu plus sa bourse d'or. Un jour sans doute finirait-il sa vie dans une petite maisonnée, ou bien il passerait à trépas après une énième escarmouche.

« Quel secours veux tu que je te donne. 
je ne suis pas le fils d'un médecin
Je ne suis pas celui que ton cœur aime.
Va t-en plus loin accomplir ton destin. »

Le destrier menait bon train, l'oreille haute alors que déjà il leur était fait place nette sur la route. Geoffroy continuait de chanter des paroles de conteurs milles fois écoutées. L'air lui trottait dans la tête comme le parfum d'une putain. Ainsi portait sa voix toute la matinée durant, parfois il croisait quelques travailleurs des champs. D'un pas mesuré, la monture n'avait de cesse d'avancer. Puis la faim s'en vint à piquer la panse du mercenaire, faisant grogner le ventre à la façon d'un ours affamé. Le feu dans le ciel n'annonçait pas encore la fin de l'après midi, pourtant il fallait écouter le mal nourrit qui s'en allait à gronder le vide du gosier. Mais alors même qu'il se pensait seul à râler contre la faim, il lui sembla odir quelques pleures humains. Un enfant ? Ici ? Nul part à la ronde il ne pouvait y avoir un quelconque village, le mercenaire le savait bien, il avait maintes fois arpenter ce chemin. Or fallait-il seulement s'en inquiéter ? Nenni, Geoffroy n'était pas de nature mauvaise, il haïssait seulement les riches, pas les pauvres. Par méfiance il mit néanmoins pied à terre pour aller s'en quérir de la chose qui brisait la monotonie de la saison. Après quelques pas, épée au clair, l'homme découvrit une petite silhouette prostrée contre le tronc d'un vieux chêne massif.

- Allons gamin, qu'est-ce qu'une brindille comme toi fais seul ici ? demanda le mercenaire en remettant son épée au fourreau après avoir observer les alentours pour s'assurer qu'ils étaient bel et bien seuls.

Ce regard, il l'avait déjà croisé de trop nombreuses fois et il le croiserait encore. Parfois, Geoffroy se demandait quel père il aurait pu être, mais à chaque fois qu'il croisait les larmes d'un enfant, il était heureux de n'avoir jamais pris épouse. Peut-être avait-il quelques bâtards ça et là dans une taverne et un bordel, mais il ne connaîtrait jamais le chagrin d'un père perdant son enfant. C'était une douleur qu'il n'était pas certain de pouvoir affronter, quand bien même il s'en était aller pourfendre l'ennemi pour une belle somme. Ce n'était pas la même chose. Tuer un inconnu c'était comme couper du bois, on ne connaissait ni l'histoire ni l'émotion d'avoir côtoyé cette personne. Mais perdre quelqu'un qu'on avait aimé, c'était déchirant, insurmontable. Le mercenaire n'était pas dupe, il savait qu'il avait brisé des cœurs de par son métier et ça il n'en avait que peu de remord. Non, c'était son propre cœur à qui il voulait éviter le pire.

Partageant la tristesse du gamin, il posa sur lui un regard bienveillant comme cela lui arrivait bien rarement. Difficile de dire depuis combien de temps il se trouvait là, les enfants n'avaient pas la même notion du temps que les adultes. Or il n'était point question de le laisser à son triste sort. Geoffroy avait bien envie de revenir sur les lieux de l'attaque, voir si les parents étaient morts ou encore s'il y avait quelque chose à récupérer, autant par intérêt que pour donner de quoi subsister au petit. Sans doute qu'après ça, il pourrait s'en aller le confier à quelqu'un. Lui trouver un toit et un travail pour lui faire oublier le drame qui s'était certainement joué sans qu'il ne le sache.

- Aller viens avec moi p'tit, dit le mercenaire. Tu te souviens d'où t'es arrivé ? t'as couru tout droit ?

Avec un peu de chance il lui suffirait surtout de suivre la route et il aurait tôt fait de trouver l'endroit. De toute façon le mode opératoire pour les attaques étaient toujours les même.

La Mercie conquise, Astrithr et Dhvorak ont enfin pu quitter la cité et laissé son nouveau souverain avec ses nouveaux problèmes. Si Arthur venait à avoir besoin de leurs services pour reconquérir la Cornouailles, sans doute qu’Astrithr y retournera pour un meilleur salaire, mais pour l’instant, elle était partie de son côté, et Dhvorak du sien. Il était temps, il fallait le dire. Cette mission avait été longue à attendre dans la cité que le moment arrive. Et dire que ça n’avait même pas duré longtemps. Enfin, elle était contente d’aller voir ailleurs. Sortir un peu de la Mercie allait lui faire un grand bien. Limite, son cheval lui avait un peu manqué. Avec sa bête, elle partit vers l’est, dans le but de rejoindre Tretford et avec un peu de chance, y trouver un peu de boulot.

Pourtant, sa route ne fut pas interrompue par la fatigue. Non, elle s’arrêta en croisant un convoi abandonné. À voir les dégâts, il n’y avait qu’une hypothèse à émettre : il avait été attaqué. Mettant pied à terre, Astrithr attacha son cheval au premier arbre qu’elle trouva et avança prudemment. Les propriétaires gisaient, morts, près de là. Ils avaient visiblement tentés de fuir, mais ils n’ont eu aucune chance. Fouillant un peu le chariot, Astrithr ne trouva rien, ce qui laissait supposer qu’ils avaient été attaqués seulement pour être volés. Elle soupira. À elle seule, elle n’allait pas pouvoir les soulever pour aller les placer près du chariot. Elle retourna donc fouiller le chariot pour trouver quelque chose qui pourrait l’aider. Mine de rien, ils étaient dans le chemin, et encombrant pour quiconque passerait par ici.

Geoffroy avait fait grimper le gamin sur la scelle de sa monture et ils étaient partis. La route était bien plus sinueuse que ce que l'enfant avait dû faire en fuyant, mais le mercenaire avait senti que l'idée aurait été parfaitement stupide d'abandonner son cheval et partir à l'aventure comme ça dans la forêt. Il se savait être sur la voie qui menait en Est-Anglie, il était de bon ton de continuer.

La monture trottait allègrement, sans doute avait-elle fait une ou deux lieux avant qu'elle ne se mette à renâcler. D'expérience, il savait que s'était à cause de l'odeur du sang et de la mort. Ils ne devaient plus être très loin. Bientôt, la silhouette d'un chariot immobile sur la voie. Geoffroy fit halte. Il mit pied à terre et lança un regard au gamin qui semblait curieux de voir s'il retrouvait ses parents. Mais le mercenaire le savait... Il y avait peut de chance qu'ils soient toujours en vie.

- Reste là.

Sur ces mots, il tira l'épée accrochée au flan de son cheval et s'approcha lentement du convoi. Il ne tarda pas à remarquer une silhouette humaine qui s'activait. Il prit le temps d'observer, à savoir s'il s'agissait d'un traînard ou non. A première vue ça avait d'une femme.

- Écartez vous de ce chariot, ordonna Geoffroy avec assez de puissance dans la voix pour se faire entendre correctement.

Il attendit que la femme se retourne, tout en jetant un coup d’œil à son cheval et à l'enfant pour être sûr que tout allait bien de leur côté.

Astrithr n’était pas une voleuse. Elle avait certes des défauts, mais le vol n’en faisait pas partie. Néanmoins, il n’était pas exclu qu’elle puisse fouiller un convoi qui a été abandonné. Après tout, s’il est abandonné, c’est qu’il n’appartient à personne. Pourtant cette fois, elle ne cherchait pas un quelconque trésor dans le chariot. Elle voulait simplement quelque chose pour l’aider à déplacer les cadavres. Il n’y avait cependant même pas la trace d’une couverture là-dedans, même pas non plus quelque chose qui vaille la peine d’être revendu. Elle n’avait donc aucun intérêt, si ce n’est que de dégager la route pour qu’elle aille rejoindre Dhvorak plus tard. Évidemment, elle aurait dû se douter que c’était à ce moment précis qu’elle allait se faire surprendre.

Par pur réflexe, elle sortit l’une de ses dagues en se retournant rapidement. Un homme, un homme d’armes, se tenait debout avec une épée à la main. Elle lui montre donc ses mains. Elle ne s’est tout de même pas arrêtée pour se battre, et si elle avait été cet homme, elle aurait sans doute pensé qu’elle volait le convoi aussi. Après tout, elle le fouillait. Se battre avec lui serait une perte de temps phénoménale, et sincèrement contre-productif comme elle a besoin de son énergie pour poursuivre sa route avant de faire halte pour la nuit.

Toujours sa dague dans ses mains, elle garde les mains visibles, au niveau de ses épaules, pour montrer qu’elle ne souhaite pas se battre, ou encore qu’elle n’avait rien qui appartenait aux propriétaires. Elle s’éloigne donc du chariot, comme demandé. « Je viens d’arriver. Je cherchais quelque chose pour bouger les propriétaires. Ils sont dans le chemin. » Elle pointe du menton les deux cadavres, sans savoir que les deux victimes ont un enfant qui accompagne l’homme qui vient de la surprendre. « Mon cheval est juste là si vous voulez voir. Je n’ai rien d’autre que ce qui m’appartient. » Notamment, sa bourse qu’elle vient à peine de remplir en travaillant pour le roi Pendragon. Le reste ne sont que nourriture, couverture, vêtements et armes.

A n'en point douter, elle avait un charisme certain. Ce fut la première chose que Geoffroy remarqua lorsqu'elle lui fit face. Dague à la main, elle avait lever ces dernières pour montrer qu'elle n'avait pas la moindre intention de l'attaquer. Le mercenaire aurait voulu la croire, mais il n'était pas né de la dernière pluie et se méfiait par nature. Aussi saurai-il rester prudent en la présence de celle qui semblait être une combattante tout comme lui.

Il l'écouta lui répondre. Jusque là, rien qui lui laissait présager qu'elle était un pillard. Sans doute que lui aussi aurait agit de la même façon s'il s'était retrouvé face à la situation suivante. Ou bien se se serait contenter de passer sur le côté. Enfin, là n'était pas la question, chacun agissait à sa guise suivant une logique qui leur était propre. Geoffroy détourna les yeux un bref instant pour constater que le cheval de l'inconnue était bel et bien là où elle l'avait laissé. A priori elle voyageait donc seule... Très bien. Le natif du Kent rangea son épée en la passant à sa ceinture.

- Vous diriez quoi à un enfant dont les parents viennent de se faire tuer ? demanda-t-il.

En effet, à présent il devait choisir de montrer à un gamin l'affreuse vérité ou bien aller enterrer les corps pour l'empêcher de voir la mort en face. Il savait que qu'un jour ou l'autre, l'enfant devrait faire face à ça, mais n'était-il pas trop jeune ? D'un signe de tête, il indiqua à la guerrière la direction vers laquelle se trouvait l'enfant des cadavres qui barraient la route. De sa réponse dépendrait la suite. Sans doute allaient-t-ils creuser une tombe sur le bord de la route pour leur permettre de reposer en paix, ou bien ils allaient se contenter de les laisser là à la merci des bêtes et des éléments, en espérant que les prochains voyageurs à passer par là auraient la clémence de faire quelque chose. Dans tous les cas, il n'était pas question de donner de faux espoir au gamin, ses parents étaient morts pour de bon.

Il était évident qu’elle aurait pu être en train de piller. Encore heureux qu’elle n’ait pas de taches de sang sur ses vêtements, parce qu’elle aurait pu laisser croire qu’elle était celle qui avait tuer ces pauvres gens. Elle désigna son cheval et observa l’homme le regarder. Quand il rangea son épée, elle rangea également ses dagues à leur place, soulagée qu’il n’ait pas fouillé. Le contenu de sa bourse aurait pu laisser croire plusieurs mauvais scénarios pour elle.

En se redressant après avoir rangé ses dagues, elle entend sa question et l’analyse dans sa tête. Minute, pourquoi lui demandait-il un truc pareil. « De quoi vous… » Quand il lui indiqua l’emplacement de l’enfant d’un signe de tête, elle s’approcha de lui pour mieux voir ce qu’il lui montrait… Un enfant… Son regard changea alors du tout au tout. De la compassion? De l’agacement? Même elle l’ignorait. Toutefois, ce qui était certain, c’est qu’elle n’était pas vraiment à l’aise. « Oh, super… » Non, elle n’est pas exaspérée, ou fâchée de quelconque façon. L’inconnu peut facilement voir qu’elle n’est tout à fait à l’aise dans cette position. Elle regarde donc celui-ci. « Je suis très mauvaise avec les enfants, je vous avoue. Je ne sais pas trop quoi vous dire. » En réalité, elle se considérait mauvaise simplement parce qu’elle ne savait jamais comment agir autour d’eux. Après tout, à quoi doit ressembler l’enfance de quelqu’un qui n’est pas natif de l’Oural ? Elle n’avait pas eu une enfance comme celle des enfants d’Albion. Elle avait été élevée à tuer.

Elle repose son regard sur le cadavre des deux parents puis repose son regard sur le petit, un regard plein de compassion, malgré elle. « Je ne crois pas qu’il y ait une bonne façon de lui dire un truc pareil. » Personne ne pouvait lui ramener ses parents. À moins que la magie soit possible, mais même dans ce cas, ce serait sans doute dangereux. Mieux valait ne pas envisager cette solution. Mieux valait laisser les morts où ils étaient. « La seule chose qu’il peut faire, c’est y faire face et l’accepter… » Elle réalise soudain que ses mots étaient sans doutes mals choisis. « Enfin… ça semble cruel dit comme ça… Mais y a pas mieux à faire que ça. Vous pouvez toujours leur rendre hommage avec lui pour l’aider à passer au travers. Sinon, je vois pas comment il pourra faire son deuil. » Elle parlait comme si elle était en connaissance de cause alors qu’en réalité, le seul parent qu’il avait vraiment connu c’était son père, et elle n’avait pas vraiment souffert de son décès. Elle avait eu l’occasion de voir tellement de morts dans sa vie que ça ne lui faisait plus ni chaud ni froid. Enfin… Il y a bien une personne qu’elle regretterait de perdre s’il venait à mourir… Dhvorak. Il pouvait être casse pieds, mais c’était un bon compagnon, mais surtout un bon ami.

A croire qu'ils étaient deux pour qui cette situation n'était pas évidente. Demandez au mercenaire d'aller pourfendre l'ennemi ne posait pas de problème, mais lorsqu'il s'agissait des enfants, c'était une toute autre affaire. Certes ils s'agissaient d'adultes en devenir, mais parfois valait mieux leur ôter leur innocence le plus tard possible pour ainsi profiter de leurs jeunes années. Tout du moins, s'il avait eu des enfants, ce serait sans doute ce qu'il aurait fait. Bien qu'il devait avoir des bâtards de ci de là, l'hypothèse était tout à fait plausible, or pour l'heure personne n'était venu lui demander de jouer les pères exemplaires.

Il hocha la tête en écoutant son interlocutrice, Geoffroy était on peut plus d'accord avec ses dires. Le regard dans le vague, mains posés à la ceinture, il poussa un soupire, elle disait tout haut ce qu'il pensait tout bas. Il était bien rare qu'il tombe sur des gens qui avaient les même idées que lui, c'était assez plaisant. Somme toute, là n'était pas le sujet.

- Par tous les dieux, vous avez raison, arrive un moment où il faut bien retirer la flèche qu'on s'est pris dans l'épaule, acquiesça-t-il. C'est douloureux mais ça fini toujours par passer.

Il parlait en connaissance de cause. Parfois quand le temps devenait humide sa vieille blessure avait tendance à se rappeler à son bon souvenir, il avait horreur de ça. Là, il fit volte face et alla cherche son cheval et l'enfant pour les rapprocher du lieu de l'attaque. A croire que le ciel les avait entendu car déjà les nuages venaient à assombrir le monde ici bas. Geoffroy jeta un coup d'oeil au dessus de sa tête, il sentait l'humidité monter et cette maudite épaule qui le lançait. Bon sang, ils allaient avoir le droit à une bonne averse. Il arrêta le destrier à quelques longues des cadavres et aida l'enfant à descendre.

- Je suis désolé mon p'tit, ils ont pas réchappé de l'attaque, dit-il une fois qu'il l'avait déposé à terre.

Le petit garçon resta regarder père et mère sans la moindre réaction. Il y avait toujours quelque chose de relativement étrange à contempler le corps de ceux que l'on connaissait de longue date, que l'on avait l'habitude d'entendre rire et respirer. Ils n'étaient plus qu'un tas de chair meurtrie. Pourtant, on avait la sensation qu'ils allaient ouvrir les yeux un moment ou un autre. Malheureusement, ils ne poseraient plus jamais leur regard sur ce monde, ils étaient allés rejoindre leurs ancêtres.

- On fera mieux de les enterrer, j'ai pas envie d'attirer les charognards... ou pire.

Pire que les charognards, les monstres qui pouvaient parfois hanter les forêts. Pendant des années Geoffroy n'y avait pas cru, jusqu'à ce qu'il croise un jour la route d'une meute... de goules. Ces créatures ignobles ressemblaient vaguement à des silhouettes humains qui se déplaçaient à quatre pattes. Par chance il était parvenu à leur échapper, mais plus jamais il ne voudrait recroiser leur route, plus jamais.

Elle hocha la tête quand il dit que les douleurs finissaient par passer. Quand son interlocuteur se rapprocha du gamin pour le faire descendre de cheval, Astrithr les regarda de loin sans bouger, étudiant la situation. Cet enfant n’était pas très vieux. Il ne pouvait pas subvenir à ses besoins seul dans une maison, à moins de devenir un petit voleur. Astrithr n’était pas la femme la plus généreuse au monde, mais même elle ne laisserait pas un enfant seul face à un tel destin. Le voyageur sembla avoir dit la vérité au petit, puisque ce dernier fixa les corps de ses parents sans émotions.

Ce pauvre enfant… Non, Astrithr ne savait pas exactement ce qu’il ressentait, ce qu’on ressentait quand on perdait un être cher. Le seul être cher qu’elle avait, c’était Dhvorak, et il était toujours bien en vie. Elle pouvait seulement se douter. En réalité, c’était l’absence d’émotion totale sur son visage qui mit la puce à l’oreille de la sarmate. Elle avait beau ne pas connaître le deuil, elle se doutait que normalement, une personne doit pleurer, donner l’impression que le monde s’est complètement effondré, surtout s’il s’agit d’un parent… non? Pendant quelques brèves secondes, Astrithr resta là à le regarder réagir, ou plutôt à le regarder ne pas réagir, jusqu’à ce qu’elle se décide enfin à bouger.

Elle prit la première couverture qu’elle trouva dans le convoi, l’ouvrit et couvrit les deux corps avec avant d’avancer vers le petit et le mercenaire. Il avait les mêmes idées qu’elle, y avait pas de doutes. Comme il l’avait dit, mieux valait enterrer les corps avant que quelque chose vienne s’en prendre à eux. Elle lui tend alors la main pour le saluer comme il se doit, finalement. « Mon nom c’est Astrithr. » Autant se présenter s’ils allaient devoir bavarder encore un peu pendant qu’ils enterraient les corps.

Elle s’approche alors du petit qui n’a pas quitté des yeux les corps sous la couverture. Elle fait exprès de se placer dans son champ de vision pour qu’il la regarde elle. « Dis-moi, tu as de la famille à quelque part? Quelqu’un chez qui tu pourras aller? » Pitié, faites que oui. Sinon, qu’adviendra-t-il de lui?

L'enfant était dans l'incompréhension, en état de choc, c'était évident. Chacun réagissait à sa manière, mais à présent il devait surtout être fatigué. Sans doute se mettrait-il à pleurer tout à l'heure, demain ou dans quelques jours. A la guerre, le mercenaire avait vu des hommes encaisser la mort de leurs camarades avec aplomb et s'effondrer des mois plus tard, certains allant même jusqu'au suicide tant la douleur leur était devenue insupportable. Geoffroy faisait parfois des cauchemars la lui, mais il avait accepter le métier qui étant le sien, à lui l'ancien forgeron devenir bourreau pour le plus offrant.

- Geoffroy, dit-il en lui serrant la main qu'elle venait de tendre.

Le mercenaire en avait fait des rencontres, mais jamais en pareille situation. C'était inédit. Mais en un sens, il aurait pu faire face à bien pire. Un traquenard quelconque où l'enfant n'aurait été qu'un appât pour attraper un poisson plus gros. Or il n'était pas ce que l'on pouvait appeler une proie intéressante... Heureusement ce ne fût pas le cas et tant mieux.

Tandis que celle qui disait s'appeler Astrithr, un nom fort étrange, avait pris soin de couvrir les corps, elle s'adressa à l'enfant qui la regardait avec de grands yeux ronds. Pendant ce temps là, Geoffroy se mit en quête du moindre outil qui pourrait leur servir à creuser des tombes. Même si un bûcher funéraire aurait été bien mieux approprié dans ce coin-ci de la forêt. L'homme y réfléchissait de plus en plus sérieusement d'ailleurs. Là, il regardait autour de lui. Le bois du chariot était encore sec, il y avait de quoi faire un feu assez conséquent. Il allait certainement en toucher deux mots à la femme guerrière à défaut de parvenir à trouver la moindre pelle dans ce qui restait du chargement qui avait été copieusement pillé.

Non, fallait oublier. Elle n’allait pas s’encombrer d’un enfant. Mais elle n’était pas non plus sans coeur au point de laisser ce dernier croupir tout seul en forêt. Il était évident qu’elle allait devoir trouver un endroit où l’emmener. Enfin, elle et… Geoffroy. Il venait à peine de se présenter, et déjà, elle semblait avoir un brin de confiance en lui. Un homme qui a ne serait-ce qu’un peu de coeur pour protéger un enfant, ça a du mérite. Et le fait qu’il ne semblait pas du tout juger du fait qu’elle soit une femme et armée jouait en sa faveur également.

Bref, Astrithr regarda l’enfant et lui demanda s’il avait de la famille. Le gamin garda le silence et lui tendit simplement une lettre qu’il avait sur lui. Elle la lit donc attentivement. À la fin, elle fronça les sourcils et tendit la lettre à Geoffroy. « Je crois qu’on a trouvé pourquoi ils ont été attaqués. » Une fois qu’il eut prit la lettre, elle retourna près du chariot et fouilla l’intérieur à nouveau. « Aucun signe d’une petite boîte. »

Astrithr réfléchit quelques secondes avant de retourner son regard vers eux, retournant vers l’enfant en affichant un regard bienveillant, rien de sévère, mais tout de gentil. « Tes parents avaient avec eux une petite boîte apparemment. Sais-tu ce qu’elle contenait ? » Elle attendit une réponse, mais tout ce qu’elle obtint fut un non de la tête, n’entendant toujours pas la voix du petit. Il devait sans doute être en état de choc, et il y avait de quoi. C’était pas tout les jours qu’on tombait sur le cadavre de nos parents. Tiens, Astrithr se demanda alors comment elle se sentirait si elle tombait sur celui de son père…

Bref, elle regarda Geoffroy. « Cette boîte devait sans doute contenir quelque chose d’important. » Ou bien si c’est pas le cas, les barbares qui ont attaqués ces pauvres innocents se sont fait avoir.