[quête] L'Escorte [terminé]

Ne pas faire de bruit, c'était la dernière chose qui passait par la tête de la demoiselle en cet instant. Son cœur lui cognait dans la poitrine mais sa gorge restait muette. Ses muscles s'étaient figés, attendant quelque chose sans même savoir de quoi il pouvait s'agir. S'il fallait fuir, la jeune femme était plus que prête, mais elle ne saurait dire si son corps allait bouger sous le coup de la peur. Pour le moment il s'agissait d'une inquiétude sans fondement autre que celui du bruit qui l'avait réveillé. La sarmate et l'errant étaient à présent tous deux sur le qui vive, prêts à cueillir celui ou celle qui venait troubler la nuit. Les prunelles de la blonde tentaient de percer l'obscurité, de savoir si sa famille était en danger ou non. Tout n'était que formes, silhouettes immobiles sans couleur. Lentement, elle tâtonna sol à la recherche d'un bras ou d'un pied pour réveiller son père et son frère. Ce dernier parvint à sortir de sa torpeur, Aanor lui plaqua immédiatement une main sur la bouche pour l'empêcher de râler car elle le savait ainsi lorsqu'on l'éveillait contre son gré.

Il en fut de même pour son père, s'évertuant à faire le moins de bruit possible, l'oreille tendue en cas d'attaque. Il était difficile de ne pas penser au pire. Un nouveau craquement. Aanor sentit un frisson lui parcourir l'échine, sa respiration se faisait plus rapide à mesure que la peur de l'inconnu grandissait. C'était effrayant de ne pas savoir, de ne pas voir. Le feu de camp éclairait faiblement plus loin que le petit cercle que formait tout ce petit monde. Le cheval piaffa, rabattant les oreilles le long de son encolure. Lui non plus n'aimait pas la situation. Quelque chose vint à s'agiter à l'orée des bois, une ombre mouvante se détacha lentement, la démarche chaloupée. La personne était cachée sous un capuchon et une longue cape de voyage abîmé par le temps. Il ou elle s'arrêta à bonne distance de Gauvain et d'Astrithr qui étaient toujours lames au clair, prêts à en découdre si la situation venait à être dangereuse. Aanor s'éloigna quelque peu du feu pour demeurer dans une semi-obscurité à l'abris de la carriole. De là, elle pouvait observer sans se faire voir. Quant à son père et son frère, ils ne disaient mots. La nuit, il ne fallait jamais se fier à une silhouette, si fragile pouvait-elle paraître sous des vêtements usés.

Comme elle le lui avait demandé, Aanor réveilla son père et son frère, prenant le temps de les taire avant qu’ils ne fassent trop de bruits. Malgré le silence total du groupe, néanmoins, le feu éclairait un peu trop la scène, de quoi attirer l’attention dans la pénombre de la forêt. N’écoutant que les pas, Astrithr aiguisa son ouïe pour découvrir d’où venaient les bruits de pas qu’elle entendait. Suivant le bruit avec tout son corps afin de faire face à ce qui allait se présenter à eux, la mercenaire serra sa poigne sur le manche de ses dagues.

Une silhouette se dessina dans l’obscurité. Elle devint de plus en plus claire à chaque pas effectué dans la direction de la sarmate et de Gauvain. Une cape en loques habillait la silhouette. Le visage de cette personne était caché par un grand capuchon. « Montrez-vous. » Astrithr n’avait pas l’intention de faire causette sans voir de visage. Pointant l’une de ses dagues vers la silhouette, elle attendit que celle-ci daigne enlever son capuchon, ce qu’il fit sans plaintes.

Les traits d’un vieil homme se dessinèrent sous les lueurs des flammes de leur feu de camp. Il n’avait pas l’air méchant, n’avait pas d’air menaçant. Il avait les yeux fous par contre. Tout cela ne lui fit pas baisser sa garde. « Qui êtes-vous et que voulez-vous? » Il n’y avait aucune raison de se méfier? Et si cet homme savait utiliser la magie? Sans quitter le regard du vieil homme, Astrithr porta son attention sur son compagnon d’arme pour cette mission. Qu’en pensait-il, lui?

Gauvain n'aurait su dire s'il était en plein rêve ou non. Sans doute s'agissait-il d'un songe dans un songe... Avoir l'impression qu'on était réveillé mais la réalité voulait que l'on soit encore dans le pays du sommeil. Pourtant, tout semblait tellement... réel. Un vieil homme s'était présenté à eux, le regard fiévreux mais l'apparence humble. Le natif d'Orcanie gardait l'épée au clair sans vouloir faire le moindre mal à ce pauvre bougre qui semblait avoir marché la nuit durant dans une forêt sombre, à la merci des prédateurs nocturnes. Gauvain avait presque de la peine pour lui, mais il fallait attendre qu'il réponde au moins aux questions de la mercenaire sarmate. Là alors, il se mit à parler.

Le brun n'en croyait pas ses oreilles et ne comprenait pas vraiment les mots qui faisaient vibrer ses tympans. Pourtant, ces paroles résonnaient dans sa tête. Il les répétait en boucle dans son esprit en espérant que quelque chose viendrait s'illuminer là-haut. Mais rien. Voyant l'homme partir, Gauvain rangea son épée au fourreau et il fit quelque pas précipité pour aller à sa suite. « De qui parlez vous ? Qui doit régner sur les hommes ? » Hélas, le curieux personnage avait disparu, rendant le silence à la forêt. Gauvain resta longuement observer les ténèbres en murmurant « Les temps anciens doivent faire place au nouveau... Qui ? Qui doit régner sur les hommes ? » La voix du vieillard continuait de résonner dans sa tête, les mots rebondissaient dans son crâne comme un écho dans une caverne. Il n'aurait su dire pourquoi il était tant bouleversé alors qu'il n'y comprenait rien. Quelque chose avait fait vriller son cœur, ébranler son âme meurtrie.

La peur, si puissante. Elle pouvait figer un corps ou un peuple entier. Cette nuit là, Aanor sentait son cœur battre avec une intensité insoupçonnée. Il fallait lutter contre soi-même pour réprimer l'envie de pleurer. Pourtant, les larmes étaient là, silencieuses et pendues au bord de ses paupières grandes ouvertes. Dans l'obscurité, ses paupières ne cessaient de trembler. Elle plaqua rapidement les mains sur sa bouche pour réprimer le souffle saccadé qui soulevait sa poitrine.

Il était sorti de la forêt un homme qui n'avait rien d'inquiétant. Pourtant, la jeune femme restait méfiante, son esprit encore chamboulé par la peur que cette situation avait suscité chez elle. Lentement, elle essayait de se calmer, de reprendre son souffle et calmer ce cœur qui continuait de cogner. Aanor écouta avec attention l'homme qui s'était mis à parler. Si ses paroles avaient un sens, elles échappaient complètement à la demoiselle. Il semblait que ce soit également le cas pour Gauvain qui cherchait des explications et demandait après celui qui s'en était retourné dans l'obscurité nocturne. D'un pas peu assuré, encore tremblante, elle s'avança dans la lumière du feu de camp.

Voyant Gauvain ranger son épée pour tenter quelques enjambé en direction de la forêt, Aanor accouru à son tour pour l'empêcher mais s'arrêta aussitôt que lui. Elle était hésitant à l'idée de lui demander de revenir. Elle ne voulait pas que lui non plus se volatilise, il y avait déjà eu bien assez d'émotions. Puis, d'une main mal assurée, saisit doucement le bras de l'homme.

_ Il est parti, il ne reviendra point, dit-elle d'une voix fébrile, encore effrayé. Restez avec nous je vous prie.

Gauvain non plus ne baissait pas sa garde. Reposant son regard sur le vieil homme, Astrithr garda sa dague bien au clair, pointée vers lui. Elle était prête à la lancer si venait à devenir menaçant. Pourtant, le vieil homme se met à dire des paroles qui, sur le coup, ne font pas grand sens. Personne autour d’elle ne semble comprendre. Il a l’air d’un vieux fou qui se prend sans doute pour un prophète ou un truc du genre. Pourtant, elle n'ignore pas ses mots. Elle serait folle de ne pas en tenir compte. Après tout, avec toute la magie dont elle a été témoin depuis son arrivée sur l'île, pourquoi exclure la possibilité que ce soit une prophétie ?

La sarmate baisse sa dague une fois que le vieille homme a complètement disparu. Elle les garde pourtant en main le temps de s’assurer que personne d’autre ne se trouve autour de leur campement. Pendant ce temps, Gauvain continue de réfléchir à ce qui vient d’être dit. Tout le monde semble bouleverser à vrai dire. Astrithr, elle, fait mine d'être passée à autre chose. Ils auraient bien le temps d'y penser une fois le matin arrivé. Elle regarde son employeur et son fils. « Tout va bien. Vous pouvez vous rendormir. Il est parti. »

La brune se retourne alors et voit Aanor retenir Gauvain de s’avancer dans la forêt. « Il fait trop sombre dans la forêt pour s’y aventurer. Vous devriez plutôt retourner dormir tous les deux. Le voyage n'est pas terminé. » Sur ces mots, elle s’accroupit et range à nouveau ses dagues dans ses bottes, suite à quoi elle retourne prendre sa place auprès du feu en repensant aux mots du vieil homme. Tous les royaumes unifiés sous une seule et même couronne ? Si ce qu'il a dit est vrai, serait-ce pour un avenir proche? Si oui, qui aurait les épaules assez solides pour gouverner un aussi grand royaume?

La voix d'Aanor brisa la tempête sous le crâne de Gauvain. Il revenait à lui en sentant la présence de la jeune femme à ses côtés. Voilà qui avait tout d'une étrange situation. Mais il senti la peur dans la voix de la demoiselle, une peur qu'il ne pouvait laissez en émoi à présent que tout était revenu à la normale. Ainsi se tourna-t-il vers elle pour lui prendre doucement la main, afin qu'elle sente qu'il était toujours là. Les paroles de la sarmate achevèrent de l'ancrer dans le présent d'une nuit un peu fraîche

- Ecoutez notre amie, retournons dormir, dit Gauvain. Une longue route nous attend demain.

Une longue route durant laquelle il allait sans doute continuer de cogiter à ce que le vieil homme leur avait dit, du moins si tout cela n'était pas un rêve. Il laissa la jeune femme retourner à sa couche tandis qu'il lançait un regard à Astrithr, bien qu'elle s'affairait quelque peu à ses affaires, son esprit semblait perdu à la réflexion. Il allait s'en dire que ce n'était pas toutes les nuits que l'on assistait à ce genre de spectacle. En vérité, le natif d'Orcanie n'avait jamais vu ni entendu parler de ce genre de chose. Sans doute s'agissait-il seulement d'un fou égaré... ou d'un oracle.

Gauvain retourna auprès du feu, plongeant son regard dans les flammes pour retrouver un peu la paix... Tout à l'heure il lui faudrait veiller, pour le moment il avait besoin de se reposer un peu. Il ne tarda pas à s'allonger, se laissant guider dans les bras du sommeil.